La « quatrième voie »
On nommait la tâche principale, à reprendre inlassablement, but de tous les exercices : « se rappeler soi-même » ! Le rappel de soi, c’était cette tentative de nous rappeler délibérément l’exil dans lequel nous vivons, et de transformer, avec le temps qui lui était consacré, ce délibérément en consciemment.
Ceci fit surgir en moi une immense résonance. J’étais « en exil » depuis que j’avais dix-sept ans, banni. C’était donc le mot clef, qui expliquait mes si pénibles états. J’avais naturellement éprouvé le rejet de mon pays et l’émigration comme un exil, mais il s’agissait de ma propre patrie, de ma sphère intérieure. Je les avais perdues depuis longtemps : Je vivais en marge de moi-même.
Cette démarche se heurte et se heurtait à des obstacles ; les vrais ennemis que sont les habitudes tissées depuis longtemps par cette vie à l’envers, perpétuellement distrayantes et qui nous font oublier la réalité d’être. Oublier, c’est le contraire de se rappeler. Se lever contre l’oubli pour se rappeler soi, était le travail, qui par l’appel de la voix de monsieur Gurdjieff me tira vers cet essentiel, que je méconnaissais.
"Décrire monsieur Gurdjieff"
Peu de temps après mon premier retour de l’Inde, je passai une journée avec Arnaud Desjardins. Il me parla longuement de son maître, puis me demanda de lui décrire monsieur Gurdjieff, qu’il n’avait pas connu et dont il avait entendu dire tant de choses contradictoires. J’estime beaucoup Arnaud et le tiens dans une amitié vraie. J’ai pu suivre au long des années, comment il franchissait les étapes de son développement spirituel, plus évident que chez aucun de mes contemporains, avec une sincérité et une honnêteté totale. À ce sujet, il ne se cachait pas, et parlait ouvertement de ses expériences et de ses comportements, les plus agréables comme les moins honorables. Je ne voulais pas lui répondre à la légère :
Mon impression indélébile, lui dis-je, est que monsieur Gurdjieff était fait d’une autre pâte que celle dont nous sommes faits. Je le ressentais comme quelqu’un qui serait venu d’une autre planète pour nous communiquer quelque chose que notre intelligence terrestre ne peut pas cerner facilement, et principalement cette immense force qui jusqu’à son départ émanait de lui, force oui, que les personnes qu’il rencontrait recevaient de manières fort diverses, à leur mesure. Elle se faisait sexuelle ou purement affective ou tournait en une irrépressible terreur. Certains voyaient en lui un ange lumineux, d’autres le diable en personne, une canaille accomplie autant qu’un saint altruiste. Moi, François Grunwald, je sentais constamment une bonté, une source généreuse d’énergie intérieure, libre de toute sentimentalité. Même ses remarques laconiques et ses engueulades, agissaient en bonté et en compassion. Mais je ne suis qu’un parmi d’autres, et pas, tant s’en faut, le plus proche.
François Grunwald
François Grunwald est né à Vienne en 1917, où il est élevé jusqu'à l'Anschluss. Une fois l'Autriche sous le joug nazi, il émigre en France, se bat contre l'occupant et rencontre dans la Légion étrangère au Maroc un certain Ludolf Schild qui devient son mentor et ami.
A la fin de la guerre, l'auteur revient en France, son ami Ludolf l'introduit auprès des groupes et de Gurdjieff lui-même. Il est proche de Gurdjieff jusqu'à sa mort en 1949. Ensuite, devenu psychiatre après des études tardives de médecine, il devient instructeur des Groupes en Allemagne et retrouve souvent en Inde le Guru vivant qu’il s’est choisi.
Un chemin hors de l'exil, de Freud à Gurdjieff
Auteur(s) : François Grunwald
Edition : L'Originel
Pages : 192
ISBN : 979-10-91413-57-2